La Diagonale des fous – Le grand raid de La Réunion

Voilà, tout est passé. Je suis de retour en Alsace, à Offwiller, petit village des piémonts de Vosges du Nord, mon terrain d’entraînement favori.
Le grand raid de La Réunion est désormais derrière moi. Et je réalise enfin que j’ai réussi à aller au bout de ce truc de fous que je prépare depuis plus d’un an.

C’est en fin d’après midi, ce jeudi 23 octobre que notre petit groupe se met en route vers la station de bus se situant à quelques pas de l’hôtel, pour nous rendre vers le centre ville de Saint-Denis.

Nous sortons, rue de Paris à la station « hôtel de ville » et nous dirigeons tout doucement vers le lieu de rendez-vous, la piscine de Barachois où est prévu l’acheminement des concurrents par bus vers le lieu de départ Saint Philippe, au Sud Est de l’île.


En chemin nous nous arrêtons dans une brasserie.
Comme il n’est pas encore l’heure du service, une négociation avec le chef cuisinier s’impose pour la préparation de quelques pâtes. Il accepte très gentiment et c’est avec délectation que nous vidons nos plats. Nous aurons même droit au rab. La dodo lé la aussi.

Après ce repas de sportif, nous nous rendons vers la piscine. Les bus ne sont pas encore la, mais nous nous retrouvons déjà parmi d’autres concurrents qui attendent. Quelques gouttes de pluie se mettent à tomber. Nous nous mettons à l’abri sous des arbres.
Après une quinzaine de minutes, voilà les bus qui arrivent.

Nous prenons absence de Monique et Fafa, les deux filles inscrites au semi raid. Nous traversons la route. Mais très vite nous nous rendons compte qu’il s’agit des bus destinés à acheminer les concurrents du semi, vers Cilaos. Nous revenons au point de départ. L’attente sera de courte durée ; en effet, 4 ou 5 autres bus ne tarderont pas à venir et cette fois ce seront les bons. Tout le monde se précipite pour trouver une place et notre groupe se scinde en deux. Je me retrouve avec Christophe, notre champion, le reste du groupe monte dans un autre bus
Le trajet vers Saint-Philippe dure 3 bonnes heures. En cours de route nous traversons une dizaine de villages dans lesquels de nouveaux concurrents embarquent. La pluie tombe et plus on avance vers St Philippe, plus elle redouble d’intensité et dans ma tête le brouillard est en train de se former. Je me dis simplement que ce serait franchement mieux sans pluie et que dans ces conditions la, je n’ai aucune envie de sortir de ce bus. Il fait froid, la clim. est à fond. Un concurrent assis juste devant nous, un local, s’empiffre de sandwiches tout au long du voyage nous envoyant à chaque fois des effluves de charcuterie !! Du coup, je me pose des questions sur la quantité de pâtes ingurgitée tout à l’heure. Est-ce suffisant ? Ne vais-je pas avoir faim avant même de commencer à courir ???

Enfin on arrive au Cap Méchant, lieu de départ de la course. Et ô miracle, la pluie a cessé. Les portes du bus s’ouvrent, nous sortons, il fait vraiment très doux. Le flux de coureurs se rend vers le stade illuminé se trouvant en contre bas, en bord de mer, d’où sera donné le départ à minuit, dans moins de 2 heures maintenant. Dans la descente, nous retrouvons le reste du groupe. Un bouchon se forme. Vérification des dossards.

Une fois dans l’enceinte du stade, dépose des sacs avec les affaires de rechange pour Cilaos, Deux-Bras et le stade de La Redoute. Il ne s’agit pas de se tromper de camion. Ensuite brève vérification du sac à dos. Je me souviens simplement que l’on me demande de montrer la lampe frontale, la veste et la couverture de survie. Il est vrai qu’il ne reste pas beaucoup de temps avant le départ, environs 1 heure et la foule derrière nous est encore nombreuse. Après cela, les organisateurs nous remettent un bracelet « je cours propre » que l’on nous demande de porter. Je m’exécute sans hésiter, car en effet il n’est pas question de jeter quoi que ce soit tout au long du parcours. La veille on nous a également remis un petit sac devant servir de « poubelle ». Il suffira de le vider lors du passage aux postes de ravitaillement. Très pratique et heureuse initiative.

Après cela un petit déjeuner nous est proposé. N’ayant pas envie de croissants, généreusement distribués par l’organisation, je prends simplement un thé et mange une barre chocolatée tirée de ma propre réserve. Ensuite tout ce joyeux monde, visiblement content d’être là, se regroupe dans le stade dans l’attente du top départ. J’aperçois Sébastien Folin, le monsieur météo de TF1 qui est entrain d’enregistrer en reportage sur la DDF. En attendant, beaucoup d’athlètes sont assis par terre. Quelques minutes avant le départ ça avance. Tout le monde est dans les starting-blocks. Les organisateurs procèdent à l’appel de quelques concurrents, dont Laurent Jalabert, ayant le privilège de partir en première ligne. Enfin, on souhaite l’anniversaire à quelques autres concurrents.
Et puis c’est le lâcher de la meute en furie. Quelques 2 300 athlètes s’élancent sur ce parcours de presque 150 km. Il fait vraiment un temps idéal pour courir, même un peu lourd. Le ciel est étoilé et la pluie de tout à l’heure, semble être loin.

Nous traversons les rues de Saint Philippe sous les acclamations de supporters locaux, c’est la fête. Je me sens bien. A la fin du village, nous tournons à gauche et empruntons un chemin traversant un champ de canne à sucre.

La température monte encore d’un cran. Ce début de montée est tranquille. Le chemin commence à tourner, mais il est large et roulant. Il n’y en aura plus de semblable par la suite. Je croise Nicolas qui a l’air aussi euphorique que moi. Premier ravito, je m’hydrate, coca + eau, je pers Nicolas et continue à monter à mon rythme.
Deuxième ravito. Je me souviens que quelqu’un filme et interviewe des concurrents.
Après cela, les hostilités commencent


Devant nous quelques marches, prémices de la longue montée vers le volcan.
Le sentier est raide, très raide par moment, un vrai mur à escalader, à tel point que des bouchons se forment. Deux à trois minutes d’arrêt qui permettent de reprendre son souffle.

De temps en temps, des raideurs impatients essayent de dépasser dans ce sentier très étroit. Je ne suis pas sur que cela leur soit très bénéfique. De plus en forçant ainsi le passage, ils risquent de faire tomber d’autres concurrents.

Dans la montée j’observe malgré la nuit, la végétation très dense et variée et en particulier des orchidées sauvages dont les toutes petites fleurs d’une belle couleur violette sont regroupées en grappe. Les lampes frontales sont vraiment très efficaces. J’hésite à sortir l’appareil photo se trouvant dans mon sac à dos.
Mon attention se porte également sur les sifflements répétitifs d’un animal, d’un insecte probablement, ou peut-être est-ce un oiseau ? Je me renseigne autour de moi sur l’origine de ce sifflement, mais pas de réponse, cela restera un mystère. La montée continue, la progression est de plus en plus difficile. Je suis toutefois surpris de déjà voir en ce début d’aventure quelques raideurs exténués, assis au bord du chemin, essayant de reprendre leur souffle. D’autres se sentent mal et sont sujets à des vomissements. Pas de chance, et surtout je ne suis pas sur qu’ils iront au bout !!

Nous sortons petit à petit de cette forêt vierge. La végétation change d’aspect, elle est moins dense. Plus de bruyères, de la brande verte et grise, plus de rocailles aussi. En bas, je vois les lumières de la ville et derrière moi un lacet d’une centaine de lucioles, formé par les lampes frontales. Plus on monte et plus je trouve se décor fabuleux. Ciel étoilé et quart de lune dans le ciel. Il ne fait toujours pas trop froid mais un léger vent se met à souffler. Je décide de passer un maillot manche longue.
On devine maintenant le jour qui ne va pas tarder à se lever. La lumière est extraordinaire. Je décide de sortir l’appareil photo pour immortaliser cela. Mais force est de constater que malheureusement l’appareil ne rend pas du tout la lumière réelle. Dommage.

Je profite donc un maximum du spectacle qui m’est offert et fait le plein d’énergie. J’en suis persuadé, c’est la beauté des paysages qui va être mon carburant tout au long de cette course. Je porte en moi ce rêve du merveilleux et de l’inaccessible. Il me donne la force de gravir la montagne, de parcourir ces chemins isolés et interminables. Et la je me demande si je suis dans un rêve ou dans la réalité, tellement cet univers est exceptionnel. C’est bien cela qui m’a poussé à m’inscrire à ce raid, de découvrir cette île lointaine, à la recherche de terres nouvelles, à la découverte de moi-même. Et ce rêve qui est maintenant devenu réalité, me guide le long des sentiers de cette île passionnante, dans une nature encore vierge et généreuse. A présent le jour se lève. Tout doucement j’approche du volcan. Il est un peu plus de 5 heures et là, moment magique, la faune se réveille, des centaines d’oiseaux se mettent à chanter. C’est la symbiose totale avec la nature.

Je me trouve enfin au bord du cratère, au lieu-dit Foc-Foc, sur ma droite le piton de la Fournaise, à ce jour le volcan le plus actif au monde. La brume ou plutôt les nuages recouvrent le fond du cratère. Je sors l’appareil photo, le spectacle en vaut bien le coup.A présent, le soleil fait son apparition au-dessus de la brume recouvrant la vallée et effleure le haut des sommets alentours. Une fois de plus je me réjouis devant la beauté du spectacle. J’approche d’un ravitaillement. Il était temps, je commence à avoir un petit creux. La soupe de vermicelles sera la bienvenue. De petits sandwiches au jambon, au fromage me permettront également de reprendre des forces. C’est à ce moment que j’aperçois Jean-Marc. On décide de continuer un bout de chemin ensemble. Nicolas nous rejoint également, mais que pour peu de temps. Nous traversons la plaine des sables. Il fait beau et déjà chaud malgré l’heure matinale. De temps en temps je cogne mes pieds contre les roches volcaniques. Quelques passages dans la brume sont féeriques : les reflets du soleil forment un « arc-de-brume », un cousin de l’arc-en-ciel, sans couleurs.

Nous entamons une descente à travers un chemin rocailleux. Un hélicoptère fait son apparition et semble filmer des scènes du grand raid, nous nous efforçons à courir. Une fois reparti, nous reprenons un rythme plus calme !! Après la traversée de la plaine des sables se dresse devant nous un vrai rempart qu’il faudra bien gravir. Le chemin serpente le long de la falaise et nous mène à l’oratoire Ste Thérèse, point culminant de la course à 2 400 mètres.

Après une succession de montées et de descentes, nous nous retrouvons désormais au milieu de vastes pâturages. Au loin j’aperçois des vaches. Les enclos nous obligent à franchir à plusieurs reprises des échelles. Plus on descend, et plus on se retrouve dans la brume. J’ai du mal à voir à travers mes lunettes complètement embuées. Malgré tout, des bouquets d’arums blancs poussant au hasard des chemins, attirent mon attention. C’est splendide.

Nous arrivons ensuite sur une route, je me sens pousser des ailes, j’accélère la cadence. Des spectateurs venus ici en voiture m’encouragent et c’est seul que j’arrive au ravitaillement de Mare à boue. Il était temps car ma réserve d’eau était épuisée. En plus je commençais sérieusement à avoir faim. Sandwichs au jambon, soupe de vermicelles et pour varier les plaisirs, manioc, feront l’affaire pour me revigorer. Entre temps, Jean-Marc m’a rejoint. J’aperçois également Dom et Nicolas en train de se ravitailler. Désespérément je cherche un endroit pour faire ma pose technique, mais a priori, rien de prévu. Tant pis, ce sera pour plus tard.

Une inspection des pieds s’impose à ce niveau. Nettoyage des chaussettes. Pour le moment aucune ampoule en vue. Les chaussures quant à elles ont moins bien supportées le passage dans les roches volcaniques. En effet, elles sont déchirées à l’avant. J’espère simplement qu’elles vont tenir jusqu’à Cilaos, où j’ai prévu une paire de rechange.

Après un bon quart d’heure d’arrêt, nous repartons Jean-Marc et moi. Une nouvelle montée semble s’annoncer. Un monsieur tapant sur un gros tonneau nous encourage en chantant une chanson dont j’ai oublié les paroles. Il est accompagné par son épouse. Chapeau bas à eux. Ca fait du bien au moral.

Dans une des premières montées, nous croisons Dom. En passant il nous souhaite bon courage. Nous continuons notre chemin. Il fait maintenant de nouveau très chaud. Nous nous retrouvons dans une forêt primaire, je me souviens des grandes fougères arborescentes, impressionnantes. Je me sens vraiment très bien, j’avale la pente qui se présente devant moi, les jambes et le souffle sont nickels. Est-ce l’effet du manioc, va savoir ! C’est dans ces montées que je perds Jean-Marc. Nico en revanche n’est pas loin. Je continue seul. Le sentier monte régulièrement dans une végétation dense. Arrive ensuite des passages délicats. Dans une descente vertigineuse, à droite le précipice et devant nous des échelles métalliques. Il y a intérêt à bien négocier. Au moindre dérapage je me retrouverai une centaine de mètre plus bas. Et je repense au carnet de route qui disait « assurez bien vos appuis malgré la fatigue ». Ensuite enchaînement de montées et de descentes dans un chemin humide.

Dans la montée vers le refuge de Kerveguen, je m’arrête enfin dans les broussailles pour la pose technique, retardée. Le chemin passe à quelques mètres et j’entends des bribes de conversation : « tu viens d’où » dit l’une et l’autre de répondre « d’Alsace ». Je reconnais la voix de Nico. Quelques minutes plus tard je suis revenu à sa hauteur. Du coup il était tout surpris de me voir arriver car il ne lui semblait pas m’avoir dépassé.

Nous continuons notre route ensemble vers Cilaos. C’est dans la brume que nous descendons vers la ville, sur un chemin abrupt comportant de nombreux escaliers et dont les marches sont formées et tenues par des rondins de bois. Inévitablement, je dérape sur le bois mouillé. Mais heureusement, Nico me rattrape in extremis et m’évite ainsi de dévaler la pente. Plus de peur que de mal.

Arrivé sur la route nous croisons des voitures. Un cycliste nous ouvre le chemin. La pluie tombe maintenant. Enfin nous arrivons dans le stade de Cilaos et retrouvons nos affaires de rechange. Des concurrents râlent car les sacs sont déposés sur le stade, sous la pluie. Heureusement que j’avais tout emballé dans des sachets nylons. Nous sommes accueillis par Sandrine, Gaëlle et Delphine.

Nous décidons avant toute chose, de prendre une douche. A défaut de serviette, le T-shirt fera l’affaire. Quel bonheur de revêtir des habits neufs et de mettre de nouvelles chaussures sèches. Pas d’ampoules, pas de douleurs musculaires pour le moment. Tout va bien, le moral est bon. Seul souci, les chaussures qui n’ont pas aimés les roches volcaniques.

Je décide donc d’enfiler ma paire de rechange. Seul hic ! Acheté le vendredi avant mon départ, je n’ai pas eu le temps de les tester en course. Chose qu’il ne faut jamais faire…c’est écrit dans tous les bons manuels traitant du sujet !!! En espérant que cela ne va pas me gâcher le reste de mon périple.

Nous ressortons du vestiaire frais et dispo, enfin presque. Maintenant un bon repas s’impose. Nous nous rendons dans le gymnase. Pâtes et poulet. C’est très bon. Nous en reprenons une deuxième fois. Jalabert mange en face de nous. Il est toujours en course. Nous aussi ! Une fois rassasié, nous ressortons du gymnase et cherchons le ravitaillement pour remplir notre Camel back. Des bénévoles nous redirigent vers l’entrée du stade. Fausse piste. Pas de ravito, que des kinés et des infirmiers. Nous apercevons Jean-Marc au pointage électronique. Ce sera son dernier sur la diagonale. Il nous informe qu’il en restera là. Trop de douleurs. Il ne démérite pas pour autant, chapeau pour tous ses exploits réalisés depuis le début d’année. Il n’a plus rien à prouver. C’est un champion.

En fin de compte nous trouvons le ravitaillement à la sortie du stade, derrière le gymnase. Tout va bien. D’après le road book de Nico, il a même de l’avance sur son temps de passage prévisionnel. Après environs une heure et demi d’arrêt, nous décidons de continuer ensemble, au moins pour la nuit à venir, qui ne va pas tarder à tomber.

Prochaine étape, le col du Taibit. En cours de route, j’entends un local dire que nous allons maintenant aborder les choses sérieuses. Ah bon ? Car pour le moment c’était juste une simple ballade d’oxygénation ? Je m’attends donc au pire. De toute façon dans notre tête c’était clair. A partir de maintenant c’était un col après l’autre.

Avant la montée proprement dite, nous continuons à descendre. C’est pour mieux remonter après. Nous longeons une rivière. Le terrain est humide. Il faut faire attention où on pose ses pieds. Nous sommes maintenant entre chien et loup. Ca commence tout de suite très fort. La montée est raide. Après une dizaine de minutes, le bruit de la rivière a quasiment disparu, c’est dire le dénivelé important de la pente. J’ai moins de souffle que ce matin et les jambes sont également plus lourdes. Nicolas me devance et donne la cadence. Nous sommes maintenant à la moitié du parcours !!! La nuit est tombée, nous sortons nos lampes frontales. Et la je ne sais pas pourquoi Nicolas fait déjà des plans sur la comète, il me dit « Tu t’imagines si on arrive à aller au bout de cette course, le truc génial qu’on aura réalisé » Pris d’émotion, la gorge nouée, j’ai envie de pleurer, je pense à mon père qui est parti il y a un an, presque jour pour jour, mais je ne dis rien. Bizarrement, à partir de ce moment, j’en suis convaincu, je sais que je vais réussir à aller au bout, que nous allons réussir à aller au bout ensemble.

Après cette première montée raide nous pensons naïvement avoir passé le col du Taibit. Mais nous allons vite déchanter, car arrivé devant un panneau indiquant le col du Taibit à 2h40 nous avons vite compris notre douleur. Coup de massue.

Un peu plus tard nous apercevons des lumières. C’est le dernier ravitaillement avant le col. Nouvelle soupe de vermicelles avec toujours les même sandwichs au jambon. Jalabert est là aussi. Les bénévoles sont très sympas et nous souhaitent bon courage pour la montée. Ca promet.

Nous partons à l’assaut de ce col. Ca monte sec. Des escaliers, un avant-goût du lendemain. A mi chemin on entend de la musique, un joueur de flûte, quelqu’un chante. Il y a de la lumière. Des bénévoles, a priori hors organisation, nous propose une tisane. C’est avec plaisir que nous acceptons.

La montée continue de plus belle. Ca n’a pas l’air de vouloir s’arrêter. Deux filles, dont l’une en train de vomir ses tripes, sont à l’arrêt au bord du chemin. D’autres concurrents en sens inverse, redescendent, ils ont fait demi-tour. D’autres encore sont couchés au bord du chemin, cherchant à dormir un peu. Avec ma lampe frontale, j’essaye de deviner la suite du profil de la pente. Elle semble vouloir s’atténuer et je dis à Nico « regarde je crois que l’on arrive au bout ». Mais à vrai dire il n’en est rien. Ca continue toujours à grimper. Et tout d’un coup, en levant la tête je vois se détacher dans le noir de la nuit étoilée, une masse énorme sur notre gauche, c’était la montagne, et tout en haut, tout petit, j’aperçois les lampes frontales des concurrents nous précédents. C’était une horreur !!! A partir de cet instant, j’ai décidé de simplement regarder le chemin devant moi.

Il commence à faire froid maintenant. Je passe une veste et en même temps je mange une barre énergétique. Nico fait de même. Quelques gars nous dépassent et nous demandent si tout ce passe bien pour nous. A peine le temps d’acquiescer et je vois Nico filant à une vitesse en emboîtant le pas des quatre raideurs. Je ne comprends pas. De retour à sa hauteur, il m’informe que c’est Jalabert qui vient de passer. Nous montons donc le reste du col du Taibit avec Jaja. N’oublions pas qu’il portait le maillot du meilleur grimpeur sur le Tour. Arrivé au col, Jaja s’exclame ironiquement« Normalement d’ici on a une belle vue sur le cirque de Mafate » Mais il fait nuit noire ! Dans la descente, le téléphone de Nico sonne. Il décroche et son interlocuteur, un pote à lui, l’informe qu’il n’est pas loin de Jaja dans le classement » et Nico de répondre « Pas loin ? En effet je suis à un mètre de lui » et Jaja de rectifier « A un mètre non, mais à deux mètres ». Tout le monde pouffe de rire….ah il ne faut pas grand-chose !! L’arrivée dans Marlat se fait sous les applaudissements des bénévoles enthousiastes et toujours aussi sympas et dispos.

Nouveau ravito. Il n’est pas loin de 10 heures. Une bonne heure pour piquer un somme. De plus, l’endroit dispose d’une tente et de lits de camp. Mais nous décidons de continuer, après avoir repris des forces, pour la première fois du café et du thé. Je consulte également pour la première fois mes SMS. Tous ces messages de soutien me redonnent du punch.

Se succèdent ensuite plusieurs cols, des passages dans les ravines. Je marche un peu au radar. Plusieurs fois les ombres projetées devant moi par ma lampe frontale, m’effrayent, j’ai l’impression de voir des bêtes. C’est décidé, au prochain arrêt il faudra dormir.

Nous arrivons enfin à Roche-Plate. Il est deux heures du matin. Une soupe et au lit !
Cette fois-ci pas de lit de camp, ni de tente. Tout se passe dans une petite cour d’école. Quelques chaises en plastique d’un côté, des cartons faisant office de matelas de l’autre, une ou plusieurs bâches en nylon tendues pour s’abriter de la pluie et au bout de la cour les tables de ravitaillement, le tout éclairé par une guirlande d’ampoules électriques. Voilà le décor.

Mort de fatigue, nous décidons malgré le froid et l’humidité ambiante de nous allonger un peu. Encore faut-il trouver une place. Ca y est, j’arrive tout juste à m’abriter sous la bâche et à trouver un coin de carton pas trop humide, je mets mon coupe vent, rabat la capuche sur mon visage et ferme les yeux. Au bout de quelques minutes je vois des papillons et commence à somnoler. Mais très vite je suis réveillé par le froissement des couvertures de survie des autres raideurs qui pour les uns s’installent et pour les autres repartent. De plus, des raideurs créoles s’installant juste à côté de moi décident de faire la causette plutôt que d’essayer de dormir. Entre temps à mes pieds, Jalabert s’est installé. Décidément il ne nous lâche plus. Il ne reste pas longtemps, lui non plus n’arrivant pas à dormir, il décide de repartir. Pour ma part je me suis installé sur une chaise, en attendant Nico.

J’évalue notre pause sommeil à environ un quart d’heure. Après quelques hésitations sur notre itinéraire, nous continuons notre chemin. Plusieurs traversées à gué de rivières. Il ne faut surtout pas glisser sur les rochers, sinon gare aux pieds mouillés voire au plongeon dans l’eau glacé. Nico en a fait l’expérience pour ce qui en est des pieds mouillés.

Il ne me reste pas beaucoup de souvenir du restant de la nuit. Notre seul but c’était à chaque fois d’arriver au ravito suivant en espérant pouvoir y trouver un emplacement plus idéal pour dormir. Mais à chaque fois c’était la déception. Pas mieux qu’à Roche-Plate. C’était même pire, car plus on avançait dans la course et plus les bénévoles encourageaient les « survivants » en les accueillant par des cris de joie, ce qui d’un côté est bien pour le moral, en revanche moins bien pour trouver un peu repos. Nous nous contentions donc tout simplement du ravitaillement. Pour ma part c’était toujours et encore la fameuse soupe de vermicelles suivi de café ou de thé.

Après de nombreuses montées et descentes et de plus en plus d’escaliers de toutes tailles et sous toutes les formes, nous traversons une nouvelle fois une rivière à gué .Nous voilà à un poste de secours de la Croix-Rouge. L’endroit est calme, je dormirais bien maintenant. Mais comme nous arrivons au bout de la nuit et que le jour commence à pointer le bout de son nez, pas question de se coucher.

De plus, nous revoici face à un vrai mur, 600 mètres de dénivelé sur 1 km 900. Effrayant !

Nico en pleine forme, part devant. Je m’accroche. Nous dépassons un autre concurrent. Mais très vite j’ai du mal à suivre, le rythme est trop élevé et ça monte trop fort. Je ralentis la cadence et laisse partir Nicolas. Le concurrent que nous venons de dépasser, me rattrape. N’en pouvant plus, je me pousse et l’invite à passer. Mais il refuse. C’est un Réunionnais. Comme nous l’avons dépassé, il estime que notre rythme est trop rapide et qu’il préfère rester derrière nous. Bon, je n’insiste pas et continue. Du coup je me retrouve avec ce monsieur derrière moi à me talonner et à me parler, me posant plein des questions. Malgré mes difficultés à respirer, je m’efforce à lui rendre la politesse. Et petit à petit nous avançons. Le rythme s’accélère, poussé par mon acolyte. Il me dit « dès que l’on verra les escaliers en béton, on sera arrivé ». Ah des escaliers il y en avait, ça n’en finissait pas, mais pas d’escaliers en béton. Maintenant nous rejoignons Nicolas. Il est parti trop vite. Et toujours mon réunionnais dans le dos qui me pousse et qui ne veut pas passer. Je souffle, je pousse sur les jambes et j’ai hâte de voir ces escaliers en béton, après chaque virage je me languis de les voir. Et enfin les voilà. Nous y sommes. Ah c’étaient des grandes marches. En revanche ce n’était toujours pas fini, le chemin n’en finissait pas de monter. J’en conclus donc qu’il fallait comprendre que le plus dur sera fait aux escaliers en béton…Dans tous les cas, une fois arrivé au col je m’appuie contre un rocher, je ne me sens pas très bien. Mon compagnon me félicite pour la montée. Nicolas arrive et en me voyant me dit « Oh laaa, mais tu es tout blanc !! » Tu m’étonnes que j’étais pâle, livide oui ! Mon compagnon de montée m’a achevé. Heureusement que le ravitaillement suivant était au bout de la descente.

Pendant que Nico se fait soigner ses pieds et se laisse faire un straping, j’en profite pour prendre mon petit déjeuner tiré du sac. Une crème onctueuse au chocolat, poudre mélangée à un peu d’eau, qui fait des envieux parmi les autres concurrents. Une nouvelle fois des reporters sont en train d’interviewer des raideurs fous. A la fin de l’interview le caméraman se rend compte qu’il n’avait pas enclenché de cassette dans sa caméra. Lol !!!

Avant de repartir, nouvelle pose technique. Cette fois-ci des commodités mis à disposition des participants, m’auront éviter de chercher un petit coin tranquille.

Ce samedi matin, le soleil est au rendez-vous. Nous reprenons notre chemin. Très vite nous nous rendons compte, que malgré l’heure matinale, le soleil tape déjà fort. Nous traversons une forêt de pins, rencontrons un autre alsacien en cours de route avec lequel nous bavardons un peu. Lors de la discussion, il s’avère que Nicolas l’a déjà croisé sur une autre course. Lui dans tous les cas veut arriver à La Redoute avant la tombée de la nuit. Il accélère la cadence et nous salue. Se succèdent ensuite des passages vertigineux, sur des sentiers taillés en flanc de rempart, en descente comme en montée, des mains courantes sont disposés le long de la roche. Je n’hésite pas à m’y accrocher, en prévention d’une éventuelle nouvelle glissade. Je me souviens également de franchissement de passerelles et autres ponts surplombant des ravines. Il ne faut pas avoir le vertige. Les décors sont une fois de plus à la hauteur de mes attentes. C’est un territoire unique qui se mérite. La nature continue à y prendre ses aises tout au long des chemins en y parsemant une variété impressionnante de fleurs de toutes les couleurs, plus vives et éclatantes les unes que les autres, Orchidées, Agapanthes, Hibiscus, Fuschias et même des géraniums pour ne citer que les plus connues. Une île unique au monde pour une course unique au monde. Je suis heureux de me retrouver la, mais bizarrement je ne fais plus de photos ! C’est ce que je regrette le plus aujourd’hui.

Après quelques heures de marche nous arrivons au ravitaillement d’Aurère, installé dans une maison créole entourée d’un petit jardin, toujours sous le soleil et dans une ambiance sympathique. Tout ici m’inspire la quiétude et le bonheur de vivre. Une nouvelle fois Jalabert est la. J’engage la conversation avec lui. Nous parlons de la difficulté de la course, des particularités du terrain, des escaliers. On s’encourage mutuellement. Très sympa ! Je remplis ensuite ma réserve d’eau, avale ma désormais traditionnelle soupe de vermicelles et ensuite nous repartons.

Nous avons à présent parcourus plus de100 kilomètres et entamons enfin la descente vers Deux-Bras, qui est avec Cilaos un des deux gros postes de ravitaillement et de soins, podologues, kiné etc… ; Les montagnes autour de nous sont majestueuses et je me sens tout petit dans ce décor wagnérien. A mi-chemin, nous dépassons Jalabert. Il est assis au bord du chemin et semble se reposer. Arrivé dans la vallée, nous longeons une rivière. Il n’est pas loin de midi et le soleil tape très fort, à tel point que j’ai presque envie de sauter dans l’eau.

Au pointage à Deux-Bras nous nous renseignons sur notre classement et nous rendons compte que nous sommes toujours assez régulier dans notre progression, aux alentours de la 630ème 650ème place. Nous apprenons aussi par téléphone que Roby et Christophe sont déjà à Dos d’âne et que Thierry et Dom ne sont pas loin d’Aurère.

Nous récupérons nos sacs avec nos affaires de rechange et après cela, un nouveau bon ravitaillement s’impose à ce stade de la course. Il est presque midi en effet, l’heure de se mettre à table. Les militaires nous ont fait mijoter de bons petits plats, lentilles, riz et poulet. Excellent ! Du coca, c’est de la dynamite. Il y a également des Yaourts à boire, pour changer c’estTop.

Après le repas j’allège mon sac à dos au maximum. Je laisse toutes mes affaires superflues sur place et hésite même à y laisser ma veste. Il fait beau et il ne reste plus que 25 kilomètres jusqu’à l’arrivée. Mais grâce à Nico je la laisse néanmoins dans mon sac à dos. Heureusement car j’en aurais besoin plus tard sous la pluie et dans le froid.

Pendant que Nico, en vedette, se fait soigner les pieds et se fait masser à côté de….Jalabert, moi aussi je décide de passer chez le kiné, mais dans une tente voisine. Le rendez-vous pour le départ de Deux-Bras est fixé à 12h30. Ca me laisse un quart d’heure à vingt minutes pour me laver les pieds et les jambes et pour me faire masser. Toujours pas d’ampoules en vue, c’est parfait. Une table de massage est vide, ça tombe bien, je m’installe. Je décide de me faire masser les jambes et le dos. Le kiné commence par le dos. Comme un quart d’heure passe très vite, se joignent à lui deux filles. Chacune s’occupant d’une jambe. C’est donc après ce massage à six mains, très revigorant, que je me pointe pile poil à l’heure devant Nicolas qui était lui toujours en train de profiter des soins d’une podologue. Sacré Nico. Et c’est avec un petit quart d’heure de retard sur le temps prévu, que nous quittons les lieux.

La montée vers Dos d’âne est une fois de plus abrupte et technique dès le début. Je suis étonné avec quelle facilité un couple de réunionnais gravi cette pente, tout en discutant. Nous, nous ruisselons de sueur et avons du mal à trouver notre souffle. Heureusement qu’entre temps les nuages étaient de retour, nous évitant de monter sous le cagnard. Des gens descendent vers Deux-Bras et nous encouragent. Un autre nous dit « c’est bien les gars, vous allez rentrer avant la nuit » Nous commençons à y croire.

Après presque 2 heures de montée nous voilà à Dos-d’Ane. Dès la sortie de la forêt, une route bétonnée en pente raide nous mène vers le stade. Évidemment il se trouvait au point culminant du village, cela ne pouvait être autrement. En posant le pied sur le bitume, je sens une douleur au genou droit. Avant l’entrée dans le Stade, Sandrine nous rejoint et nous accompagne. Une nouvelle fois il pleut et il fait même froid. Pour la première fois, je trouve la soupe de vermicelles pas bonne. Rien pour s’abriter de la pluie. Je n’ai franchement pas envie de m’attarder ici. Je n’aime pas cet endroit. Le temps de passer au poste d’infirmerie pour me faire poser un straping au genou, tout comme Nicolas, pour lequel c’est le troisième, et nous voilà reparti.

C’est donc sous la pluie, dans le brouillard et le froid que nous continuons notre progression. Dans cette dernière grosse montée à 3 paliers, dans laquelle se succèdent d’interminables escaliers, je sens malgré le straping comme des coups d’aiguilles plantés dans le tendon intérieur de mon genou. Il faut absolument que ça tienne jusqu’au bout. Je serre les dents et continue à avancer. Nous ne voyons pas grand-chose à cause du brouillard, mais la bande de terre sur laquelle nous marchons est très étroite et on devine le précipice à droite comme à gauche. Pas très rassurant. Plus on avance et plus le sol est détrempé. J’évite les flaques, mais ça devient de plus en plus difficile. Nicolas à un coup de barre maintenant et moi j’ai froid, j’aimerais avancer plus vite pour me réchauffer. Je me retourne et ne vois plus Nico. Je décide d’attendre. Je le vois s’asseoir au bord du chemin, il faut qu’il se repose. Je lui propose de prendre une aspirine. Si je ne me trompe pas, moi aussi je prends un cachet. Ca ne peut pas faire de mal.

C’est à cet endroit que je passe mon seul et unique coup de fil sur le Raid. J’appelle ma plus fervente supportrice, Nathaly, ma collègue de bureau, pour la remercier de son soutien. En m’écrivant dans un de ses nombreux SMS que même Ruben et Lou, ses deux enfants, suivent mes exploits sur le Net et qu’elle est fière de moi, elle a réussi à me faire pleurer. Et c’est dans la boue, sous la pluie et dans le froid qu’un peu de chaleur m’a fait énormément de bien.

Nous sommes maintenant dans une descente et doublons un couple. La femme progresse difficilement et marche en s’aidant d’un bâton. En nous voyant avec nos strapings respectifs elle nous dit « bienvenue au club ». Quant à son mari qui la soutient, il nous propose deux bâtons en rajoutant que ça peut aider dans la descente. Nous acceptons et le remercions du fond du cœur. Et c’est ainsi que chacun de nous s’est retrouvé avec un bâton.

Arrivé à l’avant dernier ravito, où une fois de plus régnait, grâce aux bénévoles, une ambiance très sympa et joyeuse, je décide malgré ma précédente déception de reprendre une soupe. Et là je ne pu m’empêcher de féliciter les bénévoles pour la qualité exceptionnelle du potage. C’était de loin la meilleure soupe aux vermicelles de tout le Grand Raid. Ils me firent remarquer, que je n’étais pas le premier à le dire.

Avant de partir, un organisateur attire notre attention sur la boue que nous allons trouver sur le prochain chemin et nous recommande de ne surtout pas essayer de l’éviter, donc de bien rester au milieu du chemin.

Et c’est en effet un large chemin de terre rouge qui se déroule devant nous. Le moral étant revenu pour tous les deux, nous décidons de continuer en courant, cela nous permettra de dégourdir les jambes. En effet, le fait de changer de rythme nous fait du bien. Nous dépassons des concurrents.

Malheureusement cette euphorie sera passagère.
Très vite, nous sommes amenés à quitter ce chemin et à emprunter un sentier. C’était trop beau pour durer ! Quelques mètres de montée avant une descente mémorable. La végétation est tellement compacte que la lumière du jour a du mal à pénétrer dans cette forêt. C’est comme si on passait dans une marée d’arbres. De chaque côté les branches nous frôlent les épaules. En plus, nous nous approchons du crépuscule. Rentrer de jour ne sera plus possible maintenant. Et puis surtout il y a cette boue. Les premiers dérapages nous amusent. Nico lance que nous aurions du emmener les skis. Nous glissons, Nous rions !!! Nous glissons toujours, nous nous agrippons aux branchages de chaque côté, nous rions moins. Nous glissons, nous tombons, nous ne rions plus. Dix fois, vingt fois, trente fois. Je ne ris vraiment plus. Je tombe, ma tête frappe le sol, je vois des étoiles, je perds ma casquette, ma lampe frontale, mon bâton. Le temps de reprendre mes esprits, de retrouver mes attributs dans le noir car la nuit est tombée entre temps, j’essaye de me relever, ce qui ne sera pas chose facile. La brume, formant un halo blanc devant mes yeux, m’oblige à fixer ma lampe frontale autour du poignet pour l’avoir au plus prêt du sol et d’y voir un peu plus clair. Et la je commence à flipper ! Je m’imagine la même chute en tapant la tête contre un rocher. Mon genou me fait de nouveau mal. J’ai soif. Je n’ose plus avancer de peur de rechuter. Je voudrais qu’on me sorte de la. Et puis il y a ce mélange d’odeurs de sueur et de boue qui m’écoeure. Mes mains, mon visage, le tuyau de mon camel back sont plein de boue. L’expédition tourne au cauchemar, pour la première fois je commence à douter, la progression est extrêmement difficile dans ces conditions. Me concentrant sur ce qui se passe au sol pour surtout éviter une chute sur un rocher, je n’arrête pas désormais de me cogner la tête aux branches des arbres me coupant le chemin. Heureusement qu’il ne reste plus qu’une dizaine de kilomètres avant l’arrivée, mais ce passage est interminable et épuisant. Deux heures pour avancer de 5 kilomètres. Je ne sais pas comment on s’en sort, mais on s’en sort.

Arrivé au dernier contrôle et ravito, je reprends des forces en mangeant du salami. Qu’est ce que c’est bon. En revanche, sur ce coup ci, il ne faut pas me chercher, car je n’ai pas encore digéré ce dernier passage. Mes nerfs sont à vif. Le premier à payer, c’est un bénévole ou organisateur (ou les deux) faisant de l’excès de zèle, qui me demande à la sortie de la zone de ravito, si ma lampe frontale fonctionne. Je l’avais éteinte le temps de me ravitailler. Je lui réponds que dans le cas contraire, jamais je ne serai venu jusqu’ici !

Le deuxième bénévole à en prendre pour son grade, c’était toujours après cette zone de ravito. Devant nous une grande étendue, pas de chemin clairement tracé au sol, ça ressemble plutôt à une zone de pâturage, et la il faut trouver son chemin, sans aucune autre indication. Cent ou deux cents mètre devant nous, un autre gars qui erre de gauche à droite semble avoir le même problème de repérage. Quelqu’un lui cri dans la nuit, « non c’est plus à gauche, non c’est plus à droite » Et la je pète toute une rangée de plombs. Mes nerfs lâchent. Et j’engueule ce pauvre bénévole qui n’y est certainement pas pour grand-chose. Pourtant, il aurait suffit de mettre des bandes fluos au sol pour nous baliser le chemin. Toutes mes excuses auprès de ces bénévoles.

Désormais nous sommes sur les hauteurs de Saint-Denis. Nous voyons le stade illuminé. Il est la, on peut presque le toucher. A partir de maintenant je ne peux plus arrêter Nicolas. Il s’envole vers La Redoute. Malgré le semblant de chemin hyper cassant nous menant au but, Nicolas est euphorique. Avec mon genou qui fait de plus en plus mal, je me hisse de rocher en rocher à l’aide de mes bras et de mon bâton. Nicolas lui a perdu son bâton dans le passage boueux, mais il n’a pas l’air d’en avoir besoin. En grande partie nous sommes seul dans cette descente, à tel point que j’ai un doute sur l’itinéraire emprunté. Mais tout est ok, nous rattrapons d’autres concurrents. J’en entends qui râlent, un gars qui me suit n’arrête pas de dire qu’il n’en peut plus. Du coup ça déteint sur moi. J’en ai marre de cette descente interminable. Et ce sera comme ça jusqu’au bout, jusqu’à 500 mètres de l’arrivée il y aura des rochers. D’ailleurs dans l’euphorie à 900 mètres de l’arrivée nous évitons de justesse à faire fausse route et c’est in extremis qu’un autre concurrent nous rappelle et nous renvoie sur le bon chemin.

Les 500 derniers mètres nous les faisons en courant. Jamais tout au long de ce raid nous n’aurons couru aussi vite. C’est main dans la main que nous franchissons la ligne d’arrivée sous les acclamations de nombreux supporters familiers et anonymes.

Quelle victoire et quel bonheur. Aller au bout de soi-même, repousser les limites au maximum de ses propres possibilités, aller au-delà de la douleur, au-delà de la nuit et voir le soleil se lever sur un jour nouveau, plus beau que tous les autres. C’est ça le grand raid, c’est ça la diagonale des fous. Une des courses les plus dures au monde.+
Merci à Roby de m’avoir permis de vivre des moments aussi forts en intensité, car sans lui, jamais je ne me serai inscrit au Grand Raid, merci à Jean-Marc d’avoir partagé un bout de chemin avec moi, à Nico pour l’aventure et la victoire partagée, merci aux organisateurs et bénévoles de nous avoir offert une aussi belle aventure, merci à Fafa, Monique, Sandrine, Gaëlle et Jean-Marc pour le formidable accueil dans le stade de La Redoute, merci à Nathaly, Arnaud, Jean-Michel, Didier et Michel pour tous les messages de soutien envoyés par SMS, à Michel et Didier pour leur soutien sans faille toujours fidèle au poste, merci aux collègues de l’agence du personnel pour leur accueil lors de mon retour et spécialement à Christine et Carine pour la déco et les bons « ravitos » après course, merci à toutes celles et ceux qui ont suivi ma course sur Internet : Sandrine, Pierre Leslie et Adèle et tous les autres et particulièrement à mon cousin Pierre pour avoir informé ma maman de ma progression tout au long de la course.

Je ne terminerai pas sans dédier cette victoire à mon père. Merci Papa.

DIFFINE Dominique